vendredi 17 mai 2013

Maurice Vincent : "L'équilibre du football professionnel ne passe pas par la privatisation"

Copyright : JD Lesay
A trois ans de l'Euro 2016 en France, troisième plus grand événement sportif au monde, les dix villes-hôtes* se préparent. Elles ont fondé une association pour mettre en commun leurs ressources et réussir leur organisation. Dans un entretien à Localtis, le président de ce club inédit, Maurice Vincent, sénateur-maire de Saint-Etienne, explique cette action et, plus largement, revient sur la fragilité économique du football professionnel et le financement des stades.


Localtis : Pourquoi les futures villes-hôtes de l'Euro 2016 ont-elles créé une association ?
Maurice Vincent : la création de cette association vient du bilan tiré par les villes qui ont organisé de grands événements sportifs depuis quinze ans. L'expérience acquise notamment avec la Coupe du monde de rugby 2007 a montré qu'il y avait une nécessité de structurer l'organisation des villes. Premièrement en raison de la montée en puissance de ce type d'organisation et de la complexité de ses diverses dimensions, juridique, technique, organisationnelle, financière. Globalement, il y a eu auparavant des formes d'organisation assez artisanales. Avec l'Euro 2016, on arrive sur un nouveau type d'événement, beaucoup plus professionnel, plus complexe et avec des coûts d'investissements qui sont cette fois-ci très élevés pour les villes organisatrices. Nous avons à la fois la contribution au stade, mais aussi des conditions d'organisation beaucoup plus rigoureuses avec la question des fans-zones qui sont des équipements assez lourds. Deuxièmement, il s'agissait d'oeuvrer pour plus de justice et d'équité dans la répartition des retombées de l'événement. Avant, les collectivités étaient amenées à bénéficier d'effets positifs en termes d'image en contrepartie d'investissements plus ou moins importants, mais il n'y avait pas de retour vraiment ciblé sur ces villes, et à chaque fois qu'il y a eu des financements spécifiques qui sont revenus après ces compétitions, ils ont été globalement gérés au niveau national. Si bien qu'un certain nombre de collectivités se sont retrouvées avec des stades ou des équipements collectifs financés alors qu'elles n'avaient pas participé à l'événement, et les villes organisatrices se sont parfois retrouvées avec des miettes voire rien du tout, alors que leurs contribuables avaient été sollicités.

Comment cette association s'est-elle organisée et quels sujets avez-vous déjà abordés ?
Nous fonctionnons avec toute l'expertise acquise à travers les précédents événements. Plusieurs cadres supérieurs de nos collectivités étaient déjà présents à ces moments-là et ont acquis une vraie expérience. Nous avons un comité technique en interne, animé par des cadres et techniciens, nous avons constitué un groupe d'évaluation des charges avec des adjoints chargés du dossier dans leur ville. Nous avons pris connaissance de la complexité du dossier car il y avait eu, dans la candidature de la France, un certain nombre de documents que nous avons signés, des contrats de ville et des contrats de stade, qui bordent un peu les marges du dialogue. Nous nous sommes posé plusieurs questions : une première évaluation du coût que nous supporterions avec les fans-zones. Sur ce point, nous allons faire appel à un consultant extérieur pour évaluer de manière plus précise combien peut coûter cette organisation dans chacune des villes. Nous nous sommes aussi interrogés sur la taxe sur les spectacles, qui est une prérogative des villes, mais toutes ne la mettent pas en place. Nous nous demandions si les engagements signés par la France nous empêchaient de la mettre en place, ce qui n'est finalement pas le cas. De plus, le principe d'une taxe sur les spectacles a été accepté par l'UEFA. Nous avons également travaillé sur une question importante : la demande de l'Union européenne faite à la France pour valider les subventions publiques. Chaque ville organisatrice a eu à remplir des fiches très détaillées, comprenant 140 questions, et nous nous sommes concertés sur la façon de répondre. Nous avons aussi demandé à être représentés au comité de pilotage, ce qui a été accepté par l'UEFA qui a parfaitement compris notre demande.

En amont de l'obtention par la France de l'organisation de l'Euro 2016, avez-vous compris que certaines villes renoncent à y participer ?
Les coûts de rénovation des stades sont très significativement supérieurs à ce qui avait été demandé dans les compétitions passées, et surtout avec une prise en charge majoritaire des grandes villes, aux côtés des aides de l'Etat et des autres collectivités territoriales. A Nantes ou Strasbourg, les évaluations des retombées étaient sans doute insuffisantes au regard des coûts engagés. La plupart des autres villes qui ont d'emblée accepté d'être candidates avaient la volonté de reconstruire un vrai stade aux normes de 2011, c'est particulièrement le cas à Lille ou à Nice, où les stades existants ne pouvaient pas convenir longtemps pour des équipes jouant en Ligue 1. C'était un peu la même chose à Bordeaux où une vraie question se posait, même si le stade Chaban-Delmas est mieux adapté. Lyon est un cas encore différent où l'actionnaire du club souhaitait vraiment avoir un stade de niveau européen dont il soit propriétaire. Pour ce qui concerne Saint-Etienne, nous avions déjà un grand stade de 35.000 places qui avait vieilli depuis vingt ans et donc l'arbitrage de la collectivité s'est fait sur cet ensemble. Dans une ville où le foot est très important, fait partie de la culture populaire, avec des perspectives raisonnables d'avoir durablement un rayonnement qui concourt à l'attractivité de la ville, nous avons fait le choix de nous appuyer sur l'Euro 2016 pour franchir un pas qualitatif dans l'offre de Geoffroy-Guichard que de toutes façons nous aurions dû franchir un peu plus tard. C'est vrai que nous mettons plus d'argent que nous en aurions mis pour une simple rénovation. Après on peut dire qu'il y a des stades qui ont été faits en PPP (partenariat public-privé), qui ont coûté beaucoup plus cher, ce sont des choix locaux qui ont certainement été lourdement pesés, mais il y a des explications objectives aux choix de toutes les villes.

L'organisation de l'Euro 2016 a-t-elle été l'occasion d'un débat sur le modèle économique des grands stades ?
Aujourd'hui, au sein du club des villes-hôtes, cette question est derrière nous. Chacun l'a traitée il y a trois ans en fonction du contexte local, de l'ampleur du projet, mais à l'époque le partage d'informations a été moins important qu'aujourd'hui, c'est incontestable. Toulouse et Saint-Etienne étaient dans une situation de rénovation, le PPP pouvait aussi s'envisager dans ce cadre, tout comme le bail emphytéotique. Nous avons mené une réflexion approfondie à Saint-Etienne sur ces divers modèles et avons finalement considéré, avec la volonté pour l'agglomération de maîtriser le budget d'investissement, qu'on ne pouvait pas aller au delà de la rénovation. On a préféré agir directement en maîtrise d'ouvrage public (MOP) avec un dialogue compétitif qui nous a permis de discuter autour de quatre projets. Tous ces investissements se sont accompagnés d'une remise à plat du modèle économique liant le club à la collectivité, qu'on soit en PPP ou en MOP. Pour Saint-Etienne, il y aura une revalorisation importante, de l'ordre de x 2,5, de la redevance de l'ASSE pour utiliser le stade. Dès lors que la qualité du stade n'est plus la même, ça nous est apparu logique. C'est pareil dans les PPP, où les redevances des clubs sont significatives.

Est-ce un anachronisme pour une ville d'être encore propriétaire d'un stade qui ne sert qu'à un club professionnel ?
Il n'y a pas aujourd'hui de modèle économique entre villes et clubs qui s'impose de manière évidente. Chaque cas est différent, et il n'y a pas qu'en France. On parle beaucoup des clubs qui sont propriétaires de leurs équipements dans les pays européens, mais ce sont souvent de très grands clubs qui jouent en permanence la Ligue des champions, ce qui n'est pas le cas de tous les clubs. Il y a des tas d'endroits où les équipements restent publics. L'avenir dira, en fonction du type d'équipement, quelle est la meilleure solution. Dans le cas stéphanois, je n'ai aucun doute sur le fait que le choix que nous avons fait est le meilleur.

Les clubs devraient-ils devenir propriétaires de leur stade ?
Il y a une vision des choses qui consiste à dire que le football ayant énormément évolué et intégré une part commerciale et financière considérable, les stades doivent devenir privés, et qu'il faut aller vers un système où l'argent privé ne s'appuie plus sur l'argent public et génère une économie équilibrée. Avec cette logique poussée jusqu'à son terme, on va vers le système américain de ligue fermée. Sinon les investissements sont tels que le risque de relégation dans une division inférieure va forcément réduire le nombre d'investisseurs à des cas très peu nombreux. Veut-on amener le football à un système de ligue fermée ? Je n'y suis pas favorable. Le football reste un sport avec des aléas dont les aléas de la descente. Je ne suis pas favorable à des championnats où on a trois équipes, toujours les mêmes, parce qu'il existe un tel écart économique que les autres ne peuvent plus suivre. La voie est de trouver un équilibre entre les considérations financières et les considérations sportives, et ça passe par une plus grande régulation mais pas par une privatisation. Le modèle économique n'est donc pas stabilisé aujourd'hui. Avec Monaco, on voit que la question de la fiscalité devient ingérable, on a besoin d'une plus grande régulation au niveau européen et au niveau national peut-être aussi d'ailleurs. Je préfère rester dans un système public-privé régulé. Il faut aussi maîtriser l'argent public. On ne peut pas mettre des sommes folles. Et que le sport garde la plus grande part de son incertitude.
Le club des villes-hôtes a annoncé travailler sur la mise en place de "fans-zones" durant l'Euro 2016. 

Comment ce dossier se présente-t-il et les récents incidents du Trocadéro en marge des célébrations du PSG vont-ils peser dans vos décisions ?
Une fans-zone peut être ouverte durant tout le tournoi et diffuser tous les matchs, l'UEFA nous y autorise, ou ouverte pour certains matchs seulement. Ce choix sera la responsabilité des maires. On a déjà avancé sur des modalités très pratiques. Il y a des questions de droits d'image, on ne peut pas être en contradiction avec les accords passés par l'UEFA avec ses partenaires. Chaque ville aura une latitude très importante pour déterminer la localisation de sa fans-zone donc sa taille. On souhaite, en accord avec l'UEFA, donner à ces fans-zones une orientation tournée vers la découverte et la promotion du football pour tous. Dans l'animation, il y aura sans doute des choix différents d'une ville à l'autre. Nous allions aborder les questions de sécurité des fans-zones, et il est évident que ce qui s'est passé au Trocadéro va modifier notre réflexion et va donner à cet aspect des choses encore plus d'importance. On en tirera toutes les conséquences de façon à ce que les choses se passent bien. Nous devons avoir un Euro 2016 festif et débarrassé de toutes ces dérives inacceptables qui n'ont rien à voir avec le football.

(Source : Localtis)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.