vendredi 25 octobre 2013

Le foot français n'est pas en concurrence avec le reste de l'Europe !

Ainsi les clubs de football professionnel français l'ont décidé. Ils ne joueront pas lors des 15e journée de Ligue 1 et 16e journée de Ligue 2. Ils entendent par ce biais "protester" contre l’instauration de la taxe exceptionnelle de solidarité sur les hautes rémunérations versées par les entreprises, prévue par le projet de loi de finances pour 2014.

Leurs arguments ? "Cette taxe, injuste et discriminatoire est estimée pour le football professionnel à 44 millions d’euros annuels alors même que nos clubs sont déficitaires." De plus, "à salaire identique, un joueur en France coûte aux clubs 33% plus cher qu’un joueur en Allemagne, en Angleterre, en Espagne ou en Italie." Cette argumentation soulève deux questions : celle du marché des transferts et celle d'une soi-disant concurrence à l'échelle européenne.
Grosse galette

Passons rapidement sur le marché des transferts. Ce système est, tant au regard du droit communautaire qu'au regard du droit social français, illégal. Le droit commun du contrat de travail est en effet le contrat à durée indéterminé, alors que le recours au contrat à durée déterminée est strictement encadré par des règles que ne respecte pas le monde du football (durée, renouvellement, motifs de recours, etc.).

Cette anomalie ne subsiste que pour deux raisons. La première tient à l'opportunité : personne n'a jusqu'ici osé l'attaquer de front devant un tribunal. La seconde raison explique pourquoi personne n'a encore attaqué le système des transferts. Tout illégal qu'il soit, il sert des intérêts spéculatifs énormes (2 milliards d'euros lors de l'été 2013 sur les seuls cinq plus grands championnats européens). Il n'est qu'à regarder les circuits financiers suivis par les millions d'euros servant à transférer un joueur pour comprendre qu'entre commissions, rétrocommissions et "optimisation" fiscale, le système n'est là que pour générer artificiellement des affaires dont les plus malins tirent d'immenses profits, nourrissant bon nombre d'intermédiaires plus ou moins occultes au passage. Bref, de la grosse galette dont même les miettes suffisent à faire son beurre.

Les déficits des clubs dont le football français se plaint sont en partie générés par l'inflation constante du montant des transferts et leur corollaire, l'inflation des salaires. Autrement dit, par l'appétit des spéculateurs avides de ramasser des miettes aurifères encore et encore. En raison de ce marché, nos ligues ouvertes – contrairement aux ligues fermées à l'américaine qui s'autorégulent pour ne pas faire exploser la machine – créent artificiellement une concurrence entre clubs – car le marché des transferts est mondial alors que l'activité des clubs est nationale !

La seule vraie compétition est nationale !

En effet, l'accession à la Ligue des champions étant devenue une fin en soi – la chance de la remporter étant si minime qu'un système économique ne peut être basé sur cette ambition mais, au contraire, sur la seule participation qui, elle, rapporte gros – c'est bien dans le but de battre ses rivaux en championnat chaque week-end que les clubs se livrent à la course aux armements.

On parvient alors à l'absurde : certains font monter les enchères pour acquérir le buteur qui leur ouvrira les portes de la Ligue des champions quand d'autres, une fois cet échelon atteint, vendent à prix d'or le buteur hier inconnu qui les a portés si haut ! Les occasions de faire de l'argent dans le football ne sont pas si fréquentes…

La concurrence ? Quelle concurrence ?

Les clubs français ne sont donc pas en concurrence au niveau européen. Pendant la décennie 2000, seul Lyon a été en mesure de se battre pour gagner la Ligue des champions et un ou deux clubs ont fait de la figuration – à une époque où la taxe à 75% n'existait pas ! – pendant que quelques autres encore dédaignaient la Ligue Europa. L'exemple de cette dernière compétition nous éclaire : le but est uniquement de se qualifier, mais surtout pas de jouer sa chance à fond. La faute à des déplacements trop chers si l'on songe qu'un huitième de finale peut se jouer en Ukraine ou en Turquie. Résultat : que l'on cherche à accéder à une Coupe européenne ou que l'on ne veuille que rester dans l'élite, la seule réalité qui compte pour les clubs français est celle du championnat de France. D'ailleurs, si les clubs français étaient en concurrence avec les clubs anglais, allemands, espagnols ou italiens, ils seraient morts depuis longtemps !

Le football français appuie son économie sur les droits télé, un marché à 95% national. A cet égard, il faut constater que le niveau historique du montant des droits fut atteint en 2008 (668 millions d'euros), à une époque où Lyon écrasait le championnat, où il n'existait plus aux yeux des spectateurs de réelle concurrence. Les clubs français gagnent ensuite leur vie grâce aux recettes de billetterie : un marché à peine régional où personne ne souffre de concurrence. Là encore, la fréquentation des stades a connu un pic en pleine domination lyonnaise, avec un plus haut historique en 2007 (21.810). Vient enfin l'argent de parrains, d'envergure nationale voir régionale. Quand par hasard un géant international appose son logo sur un maillot, il s'appuie justement sur l'absence de concurrence entre les différentes ligues pour choisir dans chacune d'entre elles l'équipe à laquelle il veut accoler son image. C'est le cas d'Emirates qui a élu le Paris SG, le Milan AC, Hambourg SV, Arsenal, Olympiakos ou encore le Real Madrid. Si ces clubs ont été retenus par la marque, c'est à l'issue d'une compétition interne, dans leur propre ligue, et certainement pas parce qu'il existerait une pseudo concurrence européenne.

Que peut-on en déduire : que la notion de concurrence n'a que peu de réalité en football – aucune en tout cas comparé à un secteur économique normal – et surtout que les spectateurs veulent simplement une compétition qui tourne, quelle qu'en soit l'issue, que l'adversaire gagne à chaque fois importe finalement peu. L'important étant plus de participer que d'être en position de s'imposer. Car la mutualisation des droits télé – première source de revenus du football – donne une prime à la participation. Il est ainsi arrivé que le vainqueur d'une compétition touche moins de droits télé qu'un de ses adversaires l'année où il a remporté le titre.

Il faut encore comprendre les ressorts psychologiques paradoxaux de l'intérêt porté au football. David terrassant Goliath n'a de sens que si Goliath est vraiment plus fort, que s'il existe un déséquilibre des forces… Saint-Etienne serait partant pour finir 15e de L1 à condition de battre Lyon… surtout si Lyon est le plus fort ! En football, jouer à armes égales n'est donc pas toujours souhaitable. Si une concurrence existe en football, elle n'opère qu'en bas de l'échelle, entre ceux qui risquent la relégation, synonyme de disparition.

La journée sans match ? Une balle dans le pied

Ainsi, pour en revenir aux sources de revenus des clubs, il faut absolument souligner que, pour la L1, la hausse des droits télé comme celle des affluences dans les stades a été fortement corrélée aux bons résultats de l'équipe de France à partir de 1998… soit une époque où 90% des internationaux jouaient à l'étranger. Autrement dit : sans vedettes ni françaises ni étrangères, le championnat de France est capable de générer son propre engouement ! Pour preuve, les clubs n'ont pas été déficitaires dans les années 2000. Au final, ce sont des locomotives internes (Lyon) ou externes (les meilleurs joueurs français à l'étranger suscitant de l'intérêt pour le football parmi la population) qui attirent les spectateurs dans les stades et les poussent à s'abonner à des chaînes payantes, quand bien même le niveau de notre championnat n'est que peu concurrentiel. Une baisse de niveau n'entraîne donc en aucun cas une disparition… peut-être pas même un moindre intérêt !

En choisissant de ne pas jouer, les clubs ne vont finalement que se pénaliser eux-mêmes. Nul patron ne viendra les supplier de reprendre la production en échange d'une rallonge salariale. Pire : en restant inflexible sur le dossier de la taxe à 75%, ils vont donner à François Hollande a une occasion unique de redorer son blason aux yeux d'une opinion publique - légitimement ? - désireuse de voir les riches footballeurs mettre la main à la poche !

Les clubs français ne vivent pas dans un univers concurrentiel. Ils vivent dans un vase clos où les seules "risques industriels" proviennent d'un système des transferts illégal générant tous les excès - en tout cas leur déficit. C'est à ce système qu'ils doivent s'attaquer. Et ils pourraient commencer par ne plus payer de salaire au dessus de un million par an… pour s'exonérer de la taxe à 75% !


JDL

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.