jeudi 4 septembre 2014

En Ile-de-France, trop de spectacle sportif tue-t-il le spectacle sportif ?

"Quel public pour les rencontres sportives franciliennes ?" La question ainsi posée pourrait a priori ne concerner que quelques organisateurs privés de spectacle sportif – PSG ou Stade français – et rester loin des préoccupations des collectivités territoriales. Mais en donnant ce titre à sa dernière étude, parue le 2 septembre, l'Institut régional de développement du sport d'Ile-de-France (IRDS) pointe le rapport étroit qui existe entre attractivité du spectacle sportif et investissements des collectivités. C'est qu'avec dix projets de construction ou de rénovation de grands équipements sportifs actuellement recensés sur la région, il est légitime de s'interroger sur la pertinence de ces investissements publics* et sur leur juste dimensionnement. En d'autres termes : dans quelle mesure peut-on s'assurer que les futurs grands équipements ne deviendront pas ce qu'il est convenu d'appeler des "éléphants blancs", d'après les cadeaux merveilleux que se faisaient les princes indiens et dont l'entretien se révélait fort coûteux ? Un début de réponse figure dès l'introduction du document : "Malgré un réel développement de cette économie au cours de la dernière décennie, les clubs et leurs enceintes peinent à trouver un public."

L'Ile-de-France n'est pas la province

Première constatation de l'étude : en 2012, 32% des Franciliens de 15 ans et plus (soit 3 millions de personnes) ont assisté à un spectacle sportif en Ile-de-France ou ailleurs, dont 62% à un spectacle sportif de haut niveau. Par ailleurs, au cours des dix dernières années, la part de spectateurs de rencontres sportives en Ile-de-France a augmenté de 40%. En 2003, la popularité des spectacles sportifs était plus importante en province qu'en Ile-de-France, une tendance qui s'est depuis inversée. Principales raisons de ce succès : l'arrivée de Qatar Sports Investments au PSG, en football mais aussi en handball où les affluences ont été multipliées par cinq, et la montée en puissance du professionnalisme dans le rugby avec la présence de deux équipes franciliennes en Top 14 depuis 2010.
Seconde constatation : "En Ile-de-France, plus de 80% des équipes [de haut niveau] se situent dans le coeur de la région (Paris et proche couronne), là où la population est la plus dense." Pourtant, à l'exception de Paris, la localisation des clubs n'est pas en corrélation avec la taille des villes : les quatre communes de plus de 100.000 habitants de la région (Boulogne-Billancourt, Saint-Denis, Argenteuil et Montreuil) ne comptent en effet aucune équipe de haut niveau. Celles-ci étant le plus souvent implantées en proche banlieue, dans des villes moyennes qui se focalisent sur une seule activité et un club phare. Une situation différente de celle du reste de la France : "En province, note l'IRDS, l'intercommunalité a joué favorablement dans le développement des clubs de haut niveau, ce qui n'est pas le cas en Ile-de- France."

Concurrence à tous les niveaux

Restait à mettre face à face les chiffres de la fréquentation des spectacles sportifs et l'offre des clubs. Là, le constat de l'IRDS est implacable : "Rares sont les clubs franciliens qui remplissent leur équipement tout au long de l'année pour des rencontres de championnat." Le taux de remplissage varie en effet selon le club de 2% à plus de 90% ! Des résultats qui s'expliquent par une double concurrence. Entre les disciplines d'une part, car les cinq sports collectifs majeurs (football, rugby, volley, hand et basket) sont représentés par vingt-quatre clubs de haut niveau en Ile-de-France. Mais aussi avec l'offre artistique. Ainsi en 2008, si 32% des Parisiens ont déclaré avoir assisté à un spectacle sportif, 56% étaient allés au théâtre et 58% au cinéma.
Globalement, l'IRDS propose l'analyse suivante : "En France, les sports de salles se sont développés dans des villes moyennes [laissant] la place au football dans les grandes agglomérations. Dans ces villes de taille moyenne, les disciplines sont en situation de quasi-monopole et remplissent plus facilement leur salle." Autrement dit, si les clubs franciliens trouvent souvent dans les villes moyennes une localisation idéale pour s'implanter (entreprises marraines, présence d'un équipement sportif, capacité de financement des collectivités territoriales…), cela ne suffit pas à attirer un public très sollicité et réputé "plus exigeant du fait de la qualité des rencontres auxquelles il a accès". Et lorsque plusieurs clubs d'une même discipline sont en concurrence sur le territoire, leur rayonnement est limité : "Les spectateurs privilégient en premier lieu l'équipe de leur commune, à défaut l'équipe la plus performante ou les équipements les plus proches", pointe l'IRDS.

Accroître le nombre de spectateurs par la fidélisation… et la pratique

Quelle conclusion tirer de cette étude ? Les clubs franciliens – mais la question est valable pour n'importe quel club français – doivent-ils, par exemple, abandonner l'idée de remplir leur salle ou leur stade sous prétexte que leur niveau ne serait pas assez élevé ou que la concurrence serait trop rude ? Pas du tout, affirme l'IRDS. Car si l'environnement extérieur influe sur le taux de remplissage, il en est de même de la qualité de l'équipement. "L'ancienneté et la faible qualité des équipements sportifs en termes de confort, de visibilité et de services annexes (restauration, boutiques) nuisent au pouvoir d'attractivité du club", explique l'étude. Pour autant, le spectacle sportif s'accompagne d'un paradoxe : celui de l'aléa sportif. Car si la rénovation voire la construction d'un nouvel équipement peut devenir un atout, le maintien d'une équipe au plus haut niveau n'est jamais garanti. "Le club risque [en cas de relégation] de se retrouver avec un équipement surdimensionné qui peut le mettre en difficultés financières, ainsi que la collectivité qui en supporte le coût", prévient l'IRDS
Pour autant, il existe des pistes – là encore, valables en dehors de l'Ile-de-France – pour fidéliser un public qui, à 53%, reste occasionnel. Pour l'IRDS, cela passe "par une meilleure identification aux clubs", à travers, par exemple, une politique sociale sur le territoire en lien avec les collectivités ; ou encore par une évolution des équipements pour en faire "de véritables lieux de vie ouverts sur la ville et accessibles aux différents pratiquants de la discipline (autonomes et associations)" ; mais aussi par des offres tarifaires adaptées à chaque public ou "une vraie valeur ajoutée" (nouveaux services, animations, promotions, etc.). Enfin, une piste intéressante se dessine en filigrane à travers la lecture de l'étude, une piste qui fait figure de Graal en réalisant le lien tant recherché entre sport de haut niveau et sport pour tous : développer la pratique sur un territoire peut amener les pratiquants au spectacle sportif. 96% des spectateurs sont en effet des pratiquants de sport en général, et plus cette pratique est intense, plus l'intérêt pour l'événement est fort !

(Localtis)

* Parmi les dix projets recensés, deux sont portés par des investisseurs privés mais nécessiteront des investissements publics non négligeables pour assurer leur accessibilité (voirie, prolongement de lignes de transport en commun, etc.).

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.