vendredi 6 février 2015

La Ligue 1 est-elle à vendre ?

Les épisodes du rachat de Lens par Hafiz Mammadov et de la vraie-fausse reprise du Havre par Christophe Maillol ont montré une nouvelle fois les difficultés des clubs français à s’appuyer sur des investisseurs crédibles pour se développer. Il y a pourtant urgence alors que la situation financière de la majorité d’entre eux devient intenable.
JEAN-PIERRE LOUVEL et Gervais Martel ont plusieurs points communs. Comme son homologue lensois, auquel il avait succédé en 2008 à la tête de l’UCPF, le syndicat patronal des clubs pros, le président du Havre a bien du mal à trouver le sommeil ces derniers temps. Tandis que le premier cherche à convaincre son actionnaire majoritaire, Afiz Mammadov, de tenir ses engagements, le second tente d’oublier Christophe Maillol, son repreneur fantasque, et ses promesses sans lendemain.
Ces deux feuilletons n’ont pas seulement terni l’image des deux dinosaures. Ils symbolisent aussi un football professionnel français aux abois, prêt à se vendre au premier venu. Lens et Le Havre ne sont ni les premiers, ni les seuls clubs en grande difficulté à susciter de curieux intérêts. « En règle générale, on vend son entreprise quand elle marche bien. Dans le foot, quand tout va bien, tout le monde est grisé par l’aspect sportif et personne ne vend », observe Loïc Féry, le boss du FC Lorient. Le Mans et Grenoble ont été rayés de la carte du foot pro quelques mois seulement après la livraison de leur nouveau stade et... leur relégation. Nourris hier par des droits télé plus conséquents en L 1, Nancy, Auxerre ou Valenciennes peinent à joindre les deux bouts.
Au sein même de l’élite, les actionnaires prêts à ouvrir leur capital sont nombreux. C’est le cas notamment à Rennes, où la patience de François Pinault, après dix-sept années d’investissement sans même une petite coupe nationale en compensation, a fini par s’étioler. Jean-Pierre Rivère a toujours dit qu’il ne s’éterniserait pas à la tête de Nice. Lui comme d’autres avant lui peinent cependant à dénicher des investisseurs. «  Acheter un club de foot en France, pour le moment, ça consiste surtout à acheter des problèmes, résume Bernard Caïazzo, président du conseil de surveillance de l’AS Saint-Étienne, mais aussi vice-président de la Ligue et de l’UCPF. Notre football n’a pas trouvé un modèle économique qui permette un retour sur investissement. En France, les actionnaires des clubs ne sont pas des investisseurs mais des mécènes passionnés. En Allemagne, certains clubs moyens comme Mayence ou Hanovre arrivent à dégager 7 à 8 millions d’euros de résultat d’exploitation pour un chiffre d’affaires de 70 M€ environ. »
Dans le rouge depuis 2008, les comptes des clubs français ont plongé la saison passée avec une perte cumulée qui avoisinait les 200 M€ à l’issue de l’exercice 2013-2014. Les abandons de créances des actionnaires ont permis d’éponger la moitié du désastre. Les dirigeants tentent de limiter la casse en réduisant notamment la masse salariale, les investissements sur le marché des transferts ou les coûts de fonctionnement. Le recours aux avions privés ou les mises au vert prolongées dans les palaces ne constituent plus la norme. Les salaires à six chiffres non plus, sauf au PSG ou à Monaco. Mais cette cure d’austérité n’a pas suffi. À cause surtout du poids des charges fiscales et sociales, comme le prétendent les responsables de la Ligue ou de l’UCPF ?
Quand un club allemand paie 12 000 euros de charges patronales par an et par joueur, soit 360 000 € pour un effectif complet, un club moyen de L 1 doit verser 10 millions d’euros. L’écart est gigantesque mais il n’explique pas à lui seul la réticence des investisseurs à l’endroit des clubs français. « La taxation reste un point noir. Le montant très élevé des prélèvements obligatoires en France peut même s’avérer dissuasif pour des investisseurs étrangers, indique Jean-Pascal Gayant, économiste à l’université du Mans. Mais ce n’est pas le seul frein. En Europe, seule une dizaine de clubs, comme Manchester United ou le Real Madrid, sont des marques capables de générer des revenus dans le monde entier à travers des tournées ou des contrats publicitaires importants. En France, seul le PSG semble aujourd’hui en mesure d’intégrer ce premier cercle. Lyon peut y parvenir. Un investisseur peut se dire que c’est faisable avec Marseille. Mais l’environnement du club peut apparaître aux yeux d’un repreneur comme un guêpier. On peut penser que Bordeaux, qui a un passé et incarne une marque prestigieuse, peut attirer un investisseur chinois par exemple. Ce premier cercle est réservé aux grandes métropoles urbaines. Dans le deuxième ou le troisième, la rentabilité est incertaine. Surtout en France où l‘addiction des fans à leur club est beaucoup moins prononcée qu’en Allemagne, en Italie, en Espagne ou en Angleterre. »
Ce manque de passion se ressent sur les recettes-jour de match, le merchandising ou la billetterie. Les bénéfices réalisés sont très éloignés de ceux espérés il y a quelques années.
Dans ce panorama sombre percent quand même quelques lueurs d’espoir. L’Euro 2016 doit logiquement rendre le football français plus sympathique, plus attrayant. Contrairement à la Coupe du monde 1998, le football français a su profiter de l’événement pour se doter de stades plus fonctionnels, plus accueillants. Donc plus rémunérateurs ? À Lyon, où l’OL a financé son écrin, oui. Mais à Lille ou Marseille par exemple, ce sont surtout les consortiums qui ont décroché le jackpot via les partenariats publics privés. La taxe à 75 % qui grevait les finances du foot français à hauteur de 42 millions d’euros par an va disparaître. L’augmentation des droits télé à partir de 2016 (de 607 M€ à 748,5 M€) ne fera pas de mal aux finances des clubs pros, même si certains présidents espéraient plus.
À part Pinault, le football français de clubs n’intéresse ni les grandes fortunes du pays ni ses grands groupes industriels, qui, pourtant, vont vers d’autres sports comme le rugby ou le tennis. « Les grands patrons échangent. Vous croyez que Nicolas de Tavernost ou François Pinault se réjouissent dans leur discussion de leur investissement dans le foot », interroge Caïazzo, qui connaît visiblement la réponse. Les repreneurs potentiels sont surtout basés à l’étranger. Le prince Fahd bin Khalid Faisal, neveu du roi d’Arabie saoudite, est entré dans le capital de Sedan. « On est souvent approchés par des investisseurs plus ou moins sérieux et plus ou moins exotiques, et ils veulent prendre la gouvernance, raconte Féry. Il est compliqué de les faire entrer car le club a besoin de simplicité dans la prise de décision. »
Les clubs français condamnés à l’exotisme pour survivre ? Après tout, onze des vingt clubs de Premier League sont détenus par des capitaux étrangers, et sept d’entre eux figurent parmi les trente plus gros budgets européens.

(L'Equipe)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.