Les épisodes du rachat de Lens par Hafiz Mammadov et
de la vraie-fausse reprise du Havre par Christophe Maillol ont montré
une nouvelle fois les difficultés des clubs français à s’appuyer sur des
investisseurs crédibles pour se développer. Il y a pourtant urgence
alors que la situation financière de la majorité d’entre eux devient
intenable.
JEAN-PIERRE LOUVEL et Gervais Martel ont plusieurs
points communs. Comme son homologue lensois, auquel il avait succédé
en 2008 à la tête de l’UCPF, le syndicat patronal des clubs pros, le
président du Havre a bien du mal à trouver le sommeil ces derniers
temps. Tandis que le premier cherche à convaincre son actionnaire
majoritaire, Afiz Mammadov, de tenir ses engagements, le second tente
d’oublier Christophe Maillol, son repreneur fantasque, et ses promesses
sans lendemain.
Ces deux feuilletons n’ont pas seulement terni
l’image des deux dinosaures. Ils symbolisent aussi un football
professionnel français aux abois, prêt à se vendre au premier venu. Lens
et Le Havre ne sont ni les premiers, ni les seuls clubs en grande
difficulté à susciter de curieux intérêts. « En règle générale, on
vend son entreprise quand elle marche bien. Dans le foot, quand tout va
bien, tout le monde est grisé par l’aspect sportif et personne ne vend »,
observe Loïc Féry, le boss du FC Lorient. Le Mans et Grenoble ont été
rayés de la carte du foot pro quelques mois seulement après la livraison
de leur nouveau stade et... leur relégation. Nourris hier par des
droits télé plus conséquents en L 1, Nancy, Auxerre ou Valenciennes
peinent à joindre les deux bouts.
Au sein même de l’élite, les
actionnaires prêts à ouvrir leur capital sont nombreux. C’est le cas
notamment à Rennes, où la patience de François Pinault, après dix-sept
années d’investissement sans même une petite coupe nationale en
compensation, a fini par s’étioler. Jean-Pierre Rivère a toujours dit
qu’il ne s’éterniserait pas à la tête de Nice. Lui comme d’autres avant
lui peinent cependant à dénicher des investisseurs. «
Acheter un club de foot en France, pour le moment, ça consiste surtout à acheter des problèmes,
résume Bernard Caïazzo, président du conseil de surveillance de
l’AS Saint-Étienne, mais aussi vice-président de la Ligue et de l’UCPF. Notre
football n’a pas trouvé un modèle économique qui permette un retour sur
investissement. En France, les actionnaires des clubs ne sont pas des
investisseurs mais des mécènes passionnés. En Allemagne, certains clubs
moyens comme Mayence ou Hanovre arrivent à dégager 7 à 8 millions
d’euros de résultat d’exploitation pour un chiffre d’affaires de 70 M€
environ. »
Dans le rouge depuis 2008, les comptes des clubs
français ont plongé la saison passée avec une perte cumulée qui
avoisinait les 200 M€ à l’issue de l’exercice 2013-2014. Les abandons de
créances des actionnaires ont permis d’éponger la moitié du désastre.
Les dirigeants tentent de limiter la casse en réduisant notamment la
masse salariale, les investissements sur le marché des transferts ou les
coûts de fonctionnement. Le recours aux avions privés ou les mises au
vert prolongées dans les palaces ne constituent plus la norme. Les
salaires à six chiffres non plus, sauf au PSG ou à Monaco. Mais cette
cure d’austérité n’a pas suffi. À cause surtout du poids des charges
fiscales et sociales, comme le prétendent les responsables de la Ligue
ou de l’UCPF ?
Quand un club allemand paie 12 000 euros de charges
patronales par an et par joueur, soit 360 000 € pour un effectif
complet, un club moyen de L 1 doit verser 10 millions d’euros. L’écart
est gigantesque mais il n’explique pas à lui seul la réticence des
investisseurs à l’endroit des clubs français. « La taxation reste un
point noir. Le montant très élevé des prélèvements obligatoires en
France peut même s’avérer dissuasif pour des investisseurs étrangers, indique Jean-Pascal Gayant, économiste à l’université du Mans. Mais ce n’est pas le seul frein. En
Europe, seule une dizaine de clubs, comme Manchester United ou le Real
Madrid, sont des marques capables de générer des revenus dans le monde
entier à travers des tournées ou des contrats publicitaires importants.
En France, seul le PSG semble aujourd’hui en mesure d’intégrer ce
premier cercle. Lyon peut y parvenir. Un investisseur peut se dire que
c’est faisable avec Marseille. Mais l’environnement du club peut
apparaître aux yeux d’un repreneur comme un guêpier. On peut penser que
Bordeaux, qui a un passé et incarne une marque prestigieuse, peut
attirer un investisseur chinois par exemple. Ce premier cercle est
réservé aux grandes métropoles urbaines. Dans le deuxième ou le
troisième, la rentabilité est incertaine. Surtout en France où
l‘addiction des fans à leur club est beaucoup moins prononcée qu’en
Allemagne, en Italie, en Espagne ou en Angleterre. »
Ce manque de passion se ressent sur les
recettes-jour de match, le merchandising ou la billetterie. Les
bénéfices réalisés sont très éloignés de ceux espérés il y a quelques
années.
Dans ce panorama sombre percent
quand même quelques lueurs d’espoir. L’Euro 2016 doit logiquement rendre
le football français plus sympathique, plus attrayant. Contrairement à
la Coupe du monde 1998, le football français a su profiter de
l’événement pour se doter de stades plus fonctionnels, plus
accueillants. Donc plus rémunérateurs ? À Lyon, où l’OL a financé son
écrin, oui. Mais à Lille ou Marseille par exemple, ce sont surtout les
consortiums qui ont décroché le jackpot via les partenariats publics
privés. La taxe à 75 % qui grevait les finances du foot français à
hauteur de 42 millions d’euros par an va disparaître. L’augmentation des
droits télé à partir de 2016 (de 607 M€ à 748,5 M€) ne fera pas de mal
aux finances des clubs pros, même si certains présidents espéraient
plus.
À part Pinault, le football français de clubs
n’intéresse ni les grandes fortunes du pays ni ses grands groupes
industriels, qui, pourtant, vont vers d’autres sports comme le rugby ou
le tennis. « Les grands patrons échangent. Vous croyez que Nicolas
de Tavernost ou François Pinault se réjouissent dans leur discussion de
leur investissement dans le foot », interroge Caïazzo, qui connaît
visiblement la réponse. Les repreneurs potentiels sont surtout basés à
l’étranger. Le prince Fahd bin Khalid Faisal, neveu du roi d’Arabie
saoudite, est entré dans le capital de Sedan. « On est souvent
approchés par des investisseurs plus ou moins sérieux et plus ou moins
exotiques, et ils veulent prendre la gouvernance, raconte Féry. Il est compliqué de les faire entrer car le club a besoin de simplicité dans la prise de décision. »
Les clubs français condamnés à l’exotisme pour
survivre ? Après tout, onze des vingt clubs de Premier League sont
détenus par des capitaux étrangers, et sept d’entre eux figurent parmi
les trente plus gros budgets européens.
(L'Equipe)
(L'Equipe)
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