jeudi 30 juin 2016

Pour Régis Juanico, l'évaluation des grands événements sportifs "semble instrumentalisée"

Le rapporteur spécial du budget des Sports à l'Assemblée nationale s'est penché sur l'évaluation des grands événements sportifs internationaux (Gesi) et porte un regard critique sur la façon dont sont souvent menées les études relatives à l'impact de ces événements.

"L'évaluation des grands événements sportifs en France n'est pas suffisamment prise au sérieux et semble instrumentalisée à des fins commerciales voire politiques." En plein Euro de football en France, ce constat va faire grincer des dents. Et cela d'autant plus qu'il n'émane pas d'un opposant politique du gouvernement, mais de Régis Juanico, député socialiste de la Loire et rapporteur spécial du budget des Sports à l'Assemblée nationale.
Présenté le 29 juin devant la commission des Finances dans le cadre de l'examen de la loi de Règlement 2015, ce commentaire consacré à l'évaluation de l'héritage des grands événements sportifs internationaux (Gesi) fait tomber un tabou. "Il y a en ce moment des débats sur l'acceptabilité sociale des Gesi, a expliqué Régis Juanico à Localtis. On a besoin de justifier l'organisation de ces événements, et pas uniquement sous l'angle économique. Le milieu de l'évaluation des politiques publiques est pollué par la communication des chiffres d'études ex ante dont on sait qu'elles sont peu fiables."
La principale critique du parlementaire porte sur le caractère "très peu homogène" des évaluations qui serait "préjudiciable à la décision publique". "Les méthodologies retenues pour procéder à l'évaluation des retombées des Gesi ne semblent pas faire consensus parmi les économistes qui se divisent entre plusieurs écoles méthodologiques […] qui aboutissent à des résultats parfois extrêmement différents", écrit Régis Juanico.

L'Euro de football sur la sellette

Régis Juanico pointe ainsi les travaux du Centre de droit et d'économie du sport de Limoges (CDES), missionné par l'UEFA pour évaluer les retombées économiques de l'Euro 2016. "L'étude ex ante pour les championnats d'Europe de football a été réalisée à la suite d'une demande de l'organisateur et financée par ce dernier, posant dès lors un véritable problème d'indépendance de l'expertise", note le député, qui ajoute qu'en l'occurrence "la solidité méthodologique semble faire débat". Quant à l'étude ex post, "elle ne dira pas tout ce qu'on souhaitait savoir, anticipe le député. On avait demandé un cahier des charges qui puisse inclure une étude territoriale sur les dix villes-hôtes, mais celles-ci ont refusé de financer à hauteur de 50.000 euros chacune cette étude d'impact. C'est dommage."
D'une manière générale, le commentaire estime "que les études ex ante sont davantage mises en avant par rapport aux études ex post auxquelles les décideurs ou les organisateurs portent un intérêt moindre". "Une telle situation est dommageable puisque les retombées économiques ne peuvent par définition être mesurées que sur le long terme […]", explique le rapporteur spécial, qui note encore que "la plupart des études concernées restreignent le champ de leur analyse à celui des retombées économiques et quantitatives des Gesi, alors même que les gains économiques à attendre sont en réalité souvent faibles et qu'ils ne suffisent pas à justifier l'organisation de tels événements". Et Régis Juanico de prôner des études d'impact élargies à l'héritage des Gesi : bénéfice social et bien-être collectif, conséquences environnementales, développement de la pratique sportive, renforcement de l'attractivité des territoires, etc.

"Rendre compte fidèlement à nos concitoyens"

Conclusion de Régis Juanico : l'Etat doit intervenir davantage pour généraliser et piloter les évaluations des retombées des Gesi. Car, selon le député, "la France ne dispose pas à ce jour d'outils fiables et pérennes pour mesurer l'impact global des compétitions de grande ampleur qu'elle organise sur son territoire". Parmi les pistes préconisées, il conviendrait "d'édicter une méthodologie pérenne et partagée, conforme aux bonnes pratiques, et de développer un cahier des charges précis sur les indicateurs communs d'évaluation pour l'ensemble des Gesi", ou encore d'"engager systématiquement les autorités statistiques nationales, en particulier l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), dans le processus d'évaluation afin de garantir le sérieux des données utilisées". Le rapporteur spécial estime qu'une telle charge pourrait incomber à l'Observatoire de l'économie du sport, récemment installé.
Alors que de nombreuses institutions françaises, jusqu'au plus haut sommet de l'Etat, sont actuellement mobilisées pour la réussite de la candidature de Paris à l'accueil des Jeux olympiques 2024, Régis Juanico ne craint-il pas de passer pour un empêcheur de courir en rond ? "Non, répond l'intéressé. Mon rôle est d'aider les parlementaires à faire leur travail de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. A ce titre, l'Euro 2016 doit servir d'exemple afin d'éviter de reproduire des erreurs dans la candidature de Paris 2024. On consent à des efforts importants pour accueillir des Gesi, comme le dispositif fiscal très intéressant en faveur des organisateurs voté lors du PLFR 2014. Il faut avoir une information exigeante et des mesures fiables pour rendre compte fidèlement à nos concitoyens des retombées positives, qu'ils n'aient pas l'impression que ce n'est que du profit commercial pour certains. On a intérêt à innover aussi dans ce domaine."

(Localtis)

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Journaliste spécialisé dans l'actualité sportive, j'ai collaboré, entre autres, à So Foot, Libération, Radio France Internationale. Aujourd'hui, je suis particulièrement les politiques sportives au plan national et dans les collectivités locales pour Localtis.